Archives de Tag: femme

« Bellevue » – Claire Berest (2016)

Alma vit à Paris avec Paul. Ils sont ensemble depuis des années. C’est une jeune écrivaine prometteuse. A priori, tout va pour le mieux. Mais ce matin-là, Alma se réveille dans un hôpital psychiatrique. Black-out. Des dernières vingt-quatre heures ne subsistent que quelques bribes de souvenirs. Elle a fêté ses trente ans et le jour de son anniversaire, tout a basculé. En parallèle de l’univers cotonneux et anesthésié de l’hôpital, on va revivre ce qu’il s’est passé : sa chute vertigineuse dans la folie.Bellevue-Claire-Berest

La folie…

Un sujet difficile à appréhender. Qu’est-ce que la folie au fond? Claire Berest utilise une métaphore qui, je trouve, sonne très juste : la folie est une fenêtre. Une fenêtre dans la tête, par laquelle on peut voir de « l’autre côté », mais hermétiquement fermée.

Son scellement est le garde-fou indispensable à la normalité. (…) Il est rassurant qu’elle soit là, car elle rappelle qu’elle peut être ouverte, et même pulvérisée. Elle peut aussi rester fermée, inviter à la simple contemplation. La fenêtre offre alors une vue possible, une vue alternative. Qu’elle soit là, c’est avoir le choix. Ouvrir, ne pas ouvrir. C’est primordial.

J’ai trouvé ce livre stupéfiant. Au début, je ne vais pas vous le cacher, le style un poil ampoulé et les envolées sur la littérature et autres fantasmes sur la figure de l’écrivain m’ont fait craindre le pire. Je me suis dit : soit ça va décoller, soit on va s’enfoncer dans une sorte de trip égotique. Et vous le devinez, ça a décollé.

Cette chute dans la folie, ce glissement qui ne part de rien de visible, de rien de soupçonnable, donne un suspense psychologique au récit tout à fait haletant. Que va-t-il se passer ensuite? Impossible de le deviner, impossible d’imaginer jusqu’où elle va aller, puisque c’est le propre de sa folie : plus de logique, plus de trame, plus de limites. Et c’est ainsi qu’une jeune femme bien sous tous rapports finit dans une robe de mariée tachée de sang, avec des points de sutures sur les bras et un livre de poèmes dans son sac.

Cette jeune femme, ça pourrait être vous ou moi. Le fusible qui saute, est-il prévisible? Qu’est-ce qui prédispose à la folie?

L’écriture est ciselée, précise. Quand la folie déferle dans la tête d’Alma, les mots se transforment en tsunami. Jugez plutôt, lorsqu’elle doit se faire recoudre le bras aux urgences.

Douze + cinq + trois. Vingt-points de suture. Jeu de l’oie, case départ, saute-mouton, petits chevaux, chevaux de bois qui tournent, dominos, mikados, belote et rebelote et dix de der, Auguste dans la salle d’attente. Un petit point, deux petits points, trois petits chats.

C’est par moment malsain, cru et dur, mais c’est un livre qu’on ne lâche pas, parce qu’on veut connaitre la fin, on veut comprendre. Et je ne dis pas qu’on va comprendre…mais on va s’interroger. Et n’est-ce pas l’objectif, finalement : laisser des points de suspension quelque part dans la tête?

 

  • A lire : pour l'écriture et l'histoire, originale et qui tient en haleine jusqu'au bout
  • Le fond : 9/10
  • L'écriture : 9/10

 

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« Syngué sabour – Pierre de patience » – Atiq Rahimi (2008)

La guerre en Afghanistan. Une femme s’occupe tant bien que mal de son mari tombé dans le coma après avoir reçu une balle dans la nuque. Il était combattant de dieu. Elle réalise qu’elle le connait à peine. Au fur et à mesure, elle va commencer à lui parler d’elle, d’eux deux. Lui raconter leur rencontre, la façon dont elle a vécu leur mariage. Et elle finira par tout dire à cet homme qui respire mais qui ne réagit plus : ses angoisses, ses plus grands secrets.syngue

Syngué sabour, c’est « la pierre de patience ». Une pierre à laquelle on confie tous ses malheurs et qui finit par éclater pour délivrer des péchés. La femme de cette histoire, on ne connaitra jamais son nom. On sait où elle va, mais on n’y va jamais avec elle. Nous, lecteur, nous ne sortirons en fait jamais de la chambre où se trouve le corps de l’homme. Dans un texte classique, on aurait suivi l’héroïne, on aurait eu toute une série d’informations supplémentaires. Ici, on vit l’attente du retour de cette femme, à côté de l’homme. Au fond, on est comme une de ces mouches ou araignées que l’auteur décrit parfois, minuscules témoins de ce qui se passe dans cette pièce. Cette immobilité forcée est intéressante car elle nous met dans une situation de huis-clos oppressante, probablement très proche de ce que ressent cette femme, prisonnière de la guerre, de cet homme mi-mort mi-vivant, et au fond, de ses secrets.
J’ai été happée par cette histoire étrange et douloureuse, révélatrice aussi : enfin la voix d’une femme de djihadiste. La fin m’a sonnée. J’y repense souvent, j’essaye de comprendre. Si vous avez une hypothèse là-dessus, d’ailleurs, je vous invite à me dire ce que vous en avez pensé.

NB : Ce livre a reçu le prix Goncourt en 2008. Il a été adapté au cinéma, réalisé par Atiq Rahimi lui-même. D’après ce que j’ai vu dans la bande-annonce, on quitte rapidement la chambre pour suivre cette jeune femme dans son parcours. Dommage peut-être, mais sans doute plus « filmographique ». 

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« Mille soleils splendides » – Khaled Hosseini (2007)

Afghanistan, années ’60. Mariam vit isolée avec sa mère dans une cabane à l’écart de la ville, elle est née d’une relation adultère. Son père, son dieu, vient la voir une fois par semaine. MilleSoleilsUn jour sa mère se suicide. Elle est à peine adolescente, mais son père décide tout de même de la donner en mariage. La vie de Mariam bascule en quelques jours seulement : son mari est vieux, brutal, humiliant. Elle n’arrive pas à lui donner un fils. Et des années plus tard, humiliation extrême : il prend une seconde épouse. Laila a quatorze ans, elle est magnifique, elle est fertile.

Khaled Hosseini nous emmène, comme dans « Les cerfs-volants de Kaboul », dans un Afghanistan en proie aux guerres successives, à la violence. Il raconte des vies entières, des destins qui s’entremêlent, des sentiments purs dans le chaos. A vrai dire, c’est tip-top le même cocktail que son livre précédent. Un bon cocktail, certes, mais un chouya réchauffé. Le début du livre ne m’a pas particulièrement séduite : j’avais le sentiment qu’on dramatisait au maximum la situation de Mariam. Mais je me suis un peu forcée, car on m’avait dit de ce livre qu’il était magnifique. Et en persévérant, je dois bien reconnaitre le talent narratif de l’auteur. Comme dans les cerfs-volants, je me suis laissée emporter par l’histoire, le tour était joué. Efficace, touchant, mais pas surprenant.

  • A lire : pour une plongée dans l'Afghanistan d'hier et d'aujourd'hui, de l'intérieur
  • Le fond : 7/10
  • La forme : 6/10

 

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