Archives Mensuelles: avril 2014

« Tu leur diras que tu es hutue » – Pauline Kayitare et Patrick May (2011)

9782874951282FSRwanda, 1994. Pauline a treize ans. Elle est tutsie. Cela ne veut pas dire grand-chose pour elle, jusqu’au jour où tout bascule. L’avion d’Habiyarimana est attaqué, le président est tué, les appels à la haine sur la Radio mille Collines commencent : c’est le début des massacres perpétrés par les hutus sur les tutsis. Avant la fuite, sa mère fait promettre à Pauline de dire à qui lui demandera qu’elle est hutue. Avec son physique, cela peut passer. S’en suit une longue fuite, la mort vue de très près, les massacres d’une intense cruauté. Le viol. La perte des êtres chers. Le Zaïre. Pauline échappe à la mort et n’a qu’une seule obsession après le génocide : survivre et se plonger, s’immerger dans les études.

Ce sont les vingt ans de ce génocide cette année. Vingt ans. Dans quelques jours, il y aura les commémorations, les reportages dans les journaux, le bilan de la politique de réconciliation nationale décortiquée par les médias. Et si, au lieu de s’attacher aux dates, on se plongeait dans un destin particulier ? Pauline n’est pas un personnage fictif. C’est une héroïne bien réelle, elle est à peine plus âgée que moi, et elle a traversé des épreuves d’une horreur incroyable. Sa pugnacité l’a menée en France, où elle a obtenu un statut de réfugiée politique avant d’obtenir la nationalité française. Elle a épousé Stéphane, qu’elle avait rencontré au Rwanda. Mais quelques années après, tout est remonté, la dépression l’a submergée : son fardeau était trop lourd. Il fallait qu’elle évacue. Stéphane lui fait rencontrer Patrick May, qui l’a écoutée et qui a retranscrit toute son histoire. Ce texte que l’on tient en main, c’est ce qui a sauvé Pauline. C’est aussi ce qui peut sauver de la bêtise humaine, du rejet, de l’exclusion, de l’exacerbation des différences. Et qu’est-ce qu’on y pense, quand le FN bat des records juste à côté de chez nous! Ce livre m’a serré le coeur, retourné l’estomac, secoué l’âme. Certains me diront « quelle horrreur, moi je préfère ne pas lire ce genre de truc! ». Moi j’y vois un devoir. Parce qu’on ne peut pas vivre sans conscientiser tout cela, et comme un écho, la chance que l’on a. La force de ce texte, c’est aussi que sans pathos ni larmes, dans une écriture sobre qui est la plus adaptée à ce type de récit testimonial, Pauline nous fait vivre son passé avec beaucoup de pudeur et de simplicité. C’est d’autant plus poignant : l’esprit du lecteur n’a pas une formule ou une métaphore dans laquelle s’oublier. Collision frontale, sans airbag.

  • A lire : avec le cœur bien accroché, pour revivre une page sombre de l'Histoire avec intensité
  • Le fond : 9/10
  • La forme : simple, directe, rien de spécial 
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« La vérité sur l’affaire Harry Québert » – Joël Dicker (2012)

New York, 2008. Marcus Goldman est écrivain. Après un premier roman qui a connu un succès fulgurant, c’est la panne totale, la maladie de l’écrivain : la page blanche. Après plus d’un an à tourner un rond, il se décide à aller voir son ancien professeur, mentor et ami, l’écrivain Harry Quebert. 71Ttd1Dov-L__SL1460_Ce dernier habite une grande maison au bord de la mer dans la petite ville paisible d’Aurora, New Hampshire. Marcus découvre par hasard qu’il y a trente ans, son ami a eu une relation avec une jeune fille de quinze ans alors qu’il en avait trente-quatre. Nola avait ensuite disparu mystérieusement et l’affaire, classée sans suite. Retour en 2008. Marcus apprend quelques mois après sa visite à Harry que l’on a retrouvé dans son jardin le cadavre de la jeune fille…

670 pages. Des critiques dithyrambiques. Grand prix du roman de l’Académie française, Prix Goncourt des Lycéens l’année de sa sortie. Bref, c’était fort prometteur. Le danger, évidemment, c’est de s’attendre à un texte tellement génial qu’une fois dedans, on est déçu. Hé bien pas du tout. Du tout. Du tout. Je l’ai dévoré en quelques jours, j’ai moi aussi mis gravement en danger mes heures de sommeil, je me suis exposée aux cernes et au regard hagard le matin, l’esprit un peu ailleurs quand on me parlait (« Bon finalement, qu’est-ce qui est arrivé à cette Nola? »), j’ai revécu les avancées de l’histoire pendant mes rares heures de sommeil, bref, accro. Et pourtant, je l’ai déjà dit sur ce blog, les policiers, j’en lis un par an et ça me suffit. Mais ici, c’est tellement plus qu’une intrigue policière complexe et bien ficelée. C’est aussi de l’analyse humaine, psychologique, au travers du sentiment d’imposture du narrateur Marcus, et de son prof Harry Quebert. Jusqu’où peut-on aller pour exister dans le regard des autres et (sembler) être le meilleur? Très loin, très très loin… C’est aussi de l’humour, avec par exemple les dialogues caricaturaux entre Marcus et sa mère, qui ne pense qu’à le caser. C’est enfin une écriture à plusieurs niveaux : Marcus écrit le livre sur l’affaire Harry Québert en même temps qu’il raconte son enquête, il fait des flash backs puis revient à sa situation à lui. Très complexe dit comme ça, et pourtant très clair à la lecture. L’auteur avait 27 ans lorsqu’il a écrit ce petit chef d’oeuvre de construction, j’en reste bouche-bée.

  • A lire : sans tarder, si ce n'est déjà fait. Mais prévoyez du temps et évitez les périodes de boulot intense ou d'obligations en tous genres ;)
  • Le fond : 9/10
  • L'écriture : rien à signaler, une écriture "média", au pur service de l'histoire, sans recherche ni talent particulier.
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