Archives Mensuelles: juillet 2017

« Les yeux dans les arbres » – Barbara Kingsolver (2001)

Nous sommes en 1959, en Géorgie. Et le pasteur Price, pasteur évangéliste, assez radical, extrémiste, on peut le dire, décide d’aller s’installer avec sa femme et leurs quatre filles à Kilanga, un village congolais. Il a un objectif : évangéliser les gens, élever vers le « vrai dieu » cette population africaine engluée dans sa culture impie… Bref, ce sont des missionnaires pure souche.

Ils sont accueillis avec un festin de viande de chèvre, les femmes chantent, sont à moitié nues, les hommes aussi, le choc culturel est intense…imaginez cette famille qui a tout abandonné et qui se retrouve en pleine jungle, qui ne connait rien au pays…Le choc culturel est évidemment immense.

C’est un roman polyphonique : on va suivre l’histoire au travers du destin de la mère et des quatre filles. Cette mère, d’abord, persuadée d’être en terre hostile, qui fait tout ce qu’elle peut pour maintenir la famille à flots, lui faire à manger, la soigner, mais qui est profondément désemparée dans ce pays dont elle ne connait rien : ni la nourriture, ni les coutumes, ni la langue, ni les maladies, ni les menaces…9782743607708

On va suivre aussi l’ainée : très jolie, très blonde, centrée sur elle-même…Les deux jumelles, l’une débrouillarde et garçon manqué, l’autre surdouée mais silencieuse et hémiplégique. Et enfin, la petite dernière, pétillante et charmeuse.

Leur installation, leur façon de vivre, de communiquer, tout est une succession de malentendus avec les gens du village. Le père, tellement déterminé et aveuglé, ne veut rien entendre…jusqu’au jour où, inévitablement, arrive un drame qui va ébranler toute la famille. Comment chacune va-t-elle le vivre? Faut-il rester ou fuir, c’est toute la question de ce livre.

Êtes-vous déjà en république démocratique du Congo ? Moi, jamais. Mais après avoir lu ce livre, j’en ai eu un puissant aperçu. Barbara Kingsolver s’est longuement documentée pour l’écrire, et elle ne lésine pas sur les éléments historiques et de contexte. On découvre le rôle des Belges dans la colonisation, on s’interroge sur le droit des peuples à l’autodétermination. J’ai trouvé très fort aussi de donner la parole à des femmes, cinq facettes qui sont autant de regards sur l’Afrique du milieu du 20e siècle. Alors accrochez-vous, ça fait 700 pages…mais quelles 700 pages!

« Check-point », Jean-Christophe Rufin (2015 – Poche en 2016)

Je vous emmène avec ce livre en Ex-Yougoslavie, pendant la guerre. Nous sommes sur les routes de Bosnie. Deux vieux camions humanitaires transportent des vivres, des médicaments, des vêtements. Et à leur bord, cinq personnes : deux jeunes ex-militaires, un type solitaire d’une quarantaine d’année, et deux employés d’une ONG, un garçon, une fille, des jeunes pétris d’idéaux théoriques et naïfs. Leur objectif : traverser le pays en guerre pour amener leur chargement à ceux qui en ont besoin. Ça, c’est l’objectif officiel en tout cas. Car à bord des deux camions, chacun a en réalité ses propres motivations pour être là et son agenda caché.

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Quand j’ai commencé ce livre, je me suis dit qu’une petite plongée dans la guerre en Bosnie, ça allait être passionnant. En réalité, c’est passionnant c’est vrai, mais autant s’y faire tout de suite, la Bosnie est avant tout un décor. Un décor qui ajoute un suspense terrible évidemment, puisque le pays est secoué par des combats, que chaque passage de check-point est une épreuve dont on n’est pas certain de sortir vivant. Mais le suspense, il est surtout dans le huis-clos en mouvement (puisqu’à bord des camions) qui se joue entre les personnages.

Les alliances vont se renverser, les objectifs cachés se révéler… C’est un vrai thriller, une course poursuite dans un décor lugubre, c’est très efficace et très bien raconté par Jean-Christophe Rufin, qui a cet incontestable talent : le sens du récit.

Au-delà du côté thriller, il y a aussi un aspect plus profond : cette interrogation sur la place de l’humanitaire dans les guerres : est-il éthiquement acceptable d’amener des vivres ou des vêtements alors que les gens se font tirer dessus et qu’ils aimeraient juste pouvoir se défendre? Est-ce que tout cela a encore vraiment du sens ? Et plus généralement : à partir de quand faut-il intervenir militairement dans un conflit ? Où commence l’ingérence? Un très bon livre à dévorer cet été!

Du même auteur, lire aussi « Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi »

« Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir? » – Rachid Benzine (2016)

Un père et sa fille s’échangent des lettres. Lui est un professeur d’université français, musulman pratiquant, éclairé. Sa fille unique, élevée dans cet état d’esprit, disparait du jour au lendemain : elle est partie en Irak s’investir aux côtés de l’organisation terroriste état islamique. Elle s’est mariée à un combattant. 134089_couverture_Hres_0

Le père et la fille ne se comprennent plus, mais ils s’aiment, et pour cette raison, ils restent en contact. Ils tentent de se convaincre l’un l’autre de leur version de l’Islam : Islam éclairé versus Islam (soi-disant) engagé et concret.

C’est un livre qui approche avec beaucoup de subtilité la question du départ de ces jeunes en Syrie ou en Irak. Mais c’est aussi un livre qui explore les relations père-fille et tout l’amour qui en découle malgré les incompréhensions, les divergences. C’est sans doute ça aussi, la force de ce petit bouquin : l’amour que se portent les deux protagonistes et le cadre fictionnel du livre permettent d’exposer les arguments des « deux camps » sans tomber dans quelque chose de malsain ou de critiquable.

Des livres sur ce thème, il y en a eu des dizaines et des dizaines ces deux dernières années. Mais celui-ci, par son côté percutant et accessible, soulevant les bonnes questions, est selon moi un incontournable. Foncez!

« Par la ville, hostile… » – Bertrand Leclair (2016)

Exercice de style pour le pitch de ce livre : l’auteur s’est basé sur un fait divers qui a été relaté en quelques lignes dans le journal Le Monde en 2014, et il l’extrapole. C’est l’histoire d’une femme qui va être expulsée de l’appartement qu’elle louait dans une cité HLM de l’est parisien. D23294Cette expulsion pour « trouble à l’ordre public » fait suite à la condamnation de ses deux fils pour trafic de drogue : ils ont terrorisé la cité. Aujourd’hui pourtant, il n’y a qu’elle que l’on va expulser car ses fils sont en prison. Et dans ce livre, on suit, via le long monologue intérieur de cette femme désemparée, le récit de cette journée d’expulsion…

Avec ce très beau titre, j’attendais un travail d’écriture, quelque chose de façonné, peut-être même de poétique. Alors certes, il y a un travail d’écriture, mais c’est fouillis et ça part dans tous les sens. Une logorrhée, un vomi de mots. On imagine que c’est lié au parti pris de l’auteur, qui nous donne à lire le long monologue d’une femme alcoolique, qui est assaillie à la fois par des bribes du passé et la réalité de cette expulsion qu’elle prend en plein visage.

Le problème, c’est que c’est tellement fouillis qu’au lieu de générer de l’empathie, ça m’a laissée à distance, je me suis sentie spectatrice des évènements. Et ça, c’est gênant : le fait divers me bouleverse, mais au final, le livre m’a laissée de glace. 

 

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« Les deux pigeons » – Alexandre Postel (2016)

Dorothée et Théodore forment un jeune couple d’aujourd’hui, ils ont 25-30 ans. Ils ne sont pas minables, ils ne sont pas exceptionnels non plus, mais à peine sortis de l’adolescence, ils se cherchent, ils se construisent une identité. Adopter un chat ou pas? Comment décorer leur appartement? 2081754-gfLe sexe, le bon sexe, c’est quoi? Et les relations avec les potes, comment ça devrait évoluer quand on vieillit?

Au fond, c’est l’histoire banale de deux personnes banales, dans laquelle on se retrouve tous un peu, ballotés par les conventions, le monde extérieur ou la pression familiale.

C’est un livre intrigant car il n’y a aucun dialogue : on est soit dans la tête de l’un, soit de l’autre. On s’attend à ce qu’il se passe quelque chose, mais non : ce ronronnement de l’habitude et du quotidien, c’est précisément le moteur du livre. Avec en toile de fond, un questionnement sur notre envie (notre besoin?) de faire comme tout le monde et sur le hasard des rencontres.

Alexandre Postel a déjà remporté deux prix pour ses deux premiers livres, celui-ci est le troisième. Et je m’en étonne! J’ai trouvé ce livre-ci un peu plat, un peu fade, sans grand intérêt. Si ce n’est celui, peut-être, de tendre un miroir dans lequel on s’observe, un peu intrigué.

« Porcelain » – Moby (2016)

Vous vous souvenez de Moby, bien sûr. Il a bercé la fin des années 90, le début des années 2000. Il m’était un peu sorti de la tête le bonhomme, et pourtant, en réécoutant ses mix, tout est remonté à la surface : les mélodies, les paroles (en phonétique, vu mon niveau d’anglais de l’époque ;-). Oui, tout était bien là, imprimé en bande-son de mon adolescence! (Mais oui cher visiteur, clique donc sur cette vidéo pour te mettre dans l’ambiance! ▼)

Alors quand une copine m’a prêté cette autobiographie, je me suis dit, pourquoi pas? Excellente idée, à vrai dire.

Moby nous offre un regard en arrière sur son parcours avec une pointe d’humour noir et beaucoup de modestie. On plonge dans le New-York des années 90. A l’époque, pas de tourisme de masse dans tous les quartiers, de 100% glamour ou branché. Non, à l’époque, New-York est encore une ville avec ses quartiers dangereux, sa criminalité élevée…et son bouillonnant foisonnement de talents divers, de sexualité débridée, de drogues expérimentales, de raves parties.

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Le petit Moby débarque de son bled natal dans cette immense ville, il squatte dans une usine désaffectée, il n’a pas un sou en poche mais il a un grand rêve : se faire connaitre avec ses mix. Ce qui va finir par fonctionner bien sûr, vous connaissez l’histoire.

Ce qui est savoureux, c’est non seulement cet univers trash qu’il nous dépeint, mais c’est aussi le contraste avec son personnage : il est petit, blanc, il ne boit pas, ne se drogue pas, est abstinent et chrétien pratiquant. A cette époque, en plein essor de la techno, c’est évidemment en décalage total, mais c’est aussi probablement ce qui explique qu’il a pu aller si loin…il n’est pas tombé dans les pièges du milieu.

 

Ce qui était très fort avec ce livre, c’est qu’au-delà de « l’expérience littéraire », j’ai aussi vécu une expérience musicale. Moby parle de ses morceaux, de la manière dont il les construit (il ajoute ici une basse, là une voix de femme trouvée sur un vieux vinyle…). Et comme tout existe sur Youtube, j’ai passé mon temps à lire en écoutant sa musique sur mon smartphone. La combinaison parfaite pour s’immerger dans son univers. Et c’est pareil pour les évènements dont il parle ! Exemple avec son passage à la mythique émission de la BBC « Top of the Pops » : le T-shirt de l’Armée du Salut qu’il portait, le fait qu’il était très stressé, qu’il ne savait pas danser et a donc sauté derrière son clavier, qu’on lui a reproché une performance trop nerveuse…Hé bien la vidéo existe, il suffit de la chercher!Totp_logo_1998.svg

Deux petits bémols peut-être: l’écriture en soi qui n’est pas dingue et le côté parfois un poil répétitif de la description de ses différences par rapport au milieu dans lequel il évolue. Mais c’est secondaire. Replongez-vous dans les albums de Moby, revivez tous ces instants musicaux, et foncez sur ce bouquin!

« Effets indésirables » – Larry Fondation (2016)

Au menu de ce bouquin : les bas-fonds de Los Angeles. Ils sont dépeints sous forme de petits textes : parfois ce sont des nouvelles, parfois ça ressemble plus à ce que l’on pourrait appeler des micro-récits…L’ensemble forme un tout cohérent qui nous fait donc visiter cet univers particulier entre crimes, prostituées, SDF et marginaux.

Ne vous attendez pas à une histoire, il n’y en a pas : c’est plutôteffets-indecc81sirables-couv.jpg un puzzle avec une série de pièces à assembler pour comprendre l’ensemble. L’écriture est du même acabit : brute, directe, parfois déroutante.

Dans ce livre, ce n’est pas tant le contenu qui compte que l’impression que ça laisse. Une empreinte, un malaise. Le début est presque drôle, avec des faux-héros un peu idiots et patauds, des crimes ratés, des situations burlesques…Une lecture qui a un petit quelque chose de décalé, glauque mais amusant. Mais au fur et à mesure, ça s’assombrit. Les histoires deviennent plus trash. On touche à la misère humaine, au fric, aux instincts bassement sexuels ou de domination. J’ai trouvé que c’était une lecture très intéressante, sur le fond comme sur la forme, mais j’avoue avoir été dérangée à plusieurs reprises par la place des femmes dans ce livre : ce sont toujours des rôles de prostituées perfides (la diablesse) ou de pauvres filles qui se vendent pour avoir de l’argent, de la drogue (la paumée). Et ça, évidemment, mon petit côté féministe a du mal.

 

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« Soyez imprudents les enfants » – Véronique Ovaldé (2016)

Atanasia Bartolome a 13 ans et elle s’ennuie profondément. Jusqu’au jour où, lors d’une excursion scolaire, elle tombe sur une toile de Diaz Roberto Uribe. soyez-imprudents-les-enfantsCe peintre va bouleverser sa vie et devenir une obsession. Elle va tout faire pour en savoir plus sur lui, surtout qu’il a organisé sa propre disparition. Et qu’il n’est peut-être pas étranger à son histoire à elle…

Petit bonheur que ce bouquin qui se passe dans l’Espagne franquiste. Les histoires s’entrecoupent et se complètent, c’est magnifique. L’auteure ose de longues listes (plusieurs pages!) de petites choses qui chipotent Anastasia, et on a l’impression que tout un univers d’adolescente se dessine sous nos yeux avec finesse. Sans oublier l’écriture : belle, drôle, sensible et rythmée. Je ne vous en dis pas plus, j’ai adoré!

« La Correction » – Elodie Llorca (2016)

François est correcteur dans une revue culturelle. Il passe après les journalistes sur les articles, et il les corrige, il traque la moindre faute. Son obsession, ce sont les coquilles : ces petites erreurs de frappe, ces mots accidentellement mis à la place d’un autre. Il est méticuleux et précis, et il travaille sous le regard de Reine, sa rédactrice en chef. Une femme dominante, fascinante…un véritable fantasme pour lui.

Tout le monde joue parfaitement son rôle, jusqu’au jour où François en devient persuadé : Reine ajoute intentionnellement des coquilles dans les textes pour le tester. Mais pourquoi fait-elle cela ?

*****

Ce roman m’a fait d’abord penser à un roman de David Foenkinos : on a un personnage principal bien typé, dans ce cas-ci un peu coincé, avec ses petites obsessions, son petit quotidien…jusqu’à ce que son quotidien soit bouleversé par un évènement.

Ce roman commence de la même manière, on s’attache presque à ce François « à côté de ses pompes ». Sauf que, sauf que. Au lieu de continuer sur une ligne tragico-comique, ici, ça sSAMSUNG DIGITAL CAMERAe transforme en roman psychologique franchement angoissant. Avec une question : la menace – parce qu’on sent bien qu’il y a une menace initiée par ces fautes de frappes peut-être intentionnelles – cette menace vient-elle vraiment de l’extérieur (Reine qui introduit des coquilles, qui joue avec lui) ou bien vient-elle de l’intérieur (notre narrateur est-il en train de devenir complètement paranoïaque) ?

Alors oui, c’est prenant, parce qu’on meurt d’envie d’avoir une réponse et que le malaise grandit. Mais au fil des pages, on ne comprend plus ce personnage. Il a un petit quelque chose de Meursault dans « l’Étranger » d’Albert Camus : on a l’impression qu’il ne ressent plus rien.

Et puis la fin…bon…Le délire psychologique est à son comble, au point que ce n’est ni très clair, ni très satisfaisant pour le lecteur laissé là comme deux ronds de flan. Bref, un premier roman dans lequel il y a de l’idée (j’adorais le pitch), mais qui à mon humble avis n’est pas tout à fait abouti.

 

On s’y remet?

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Voici venu le temps des vacances. Celui des heures longues, des apéros, des siestes au soleil. Celui des livres, aussi! Combien sont ceux qui profitent de ces moments suspendus pour enfin se plonger dans de bons bouquins? Personnellement, je retrouve un peu de lenteur bienvenue après cette folle année, et voici venu le temps de partager avec vous ce que j’ai lu depuis septembre pour l’émission Livrés à Domicile (RTBF), entre autres. J’égrainerai les chroniques chaque semaine, on va essayer de retrouver un peu de rythme, non? :) J’espère que vous y trouverez quelques conseils précieux, des titres à glisser dans vos valises, et surtout beaucoup de plaisir de lecture :)