Nous sommes après la deuxième Guerre Mondiale, dans un village reculé de l’Allemagne, perdu dans les montagnes. Un village qui vit replié sur lui-même, qui a souffert de la guerre. Celle-ci a révélé à chacun les atrocités dont il est capable, tout au fond de lui… Brodeck, lui, en est revenu. Il a survécu aux camps. A l’horreur. Ce soir-là, lorsqu’il arrive à l’auberge du village, les hommes sont tous rassemblés. Il s’est passé « quelque chose ». Quelque chose d’atroce. Brodeck sait écrire, il est chargé de raconter. De constituer un rapport qui en quelque sorte, viendra justifier les faits.
Côté structure, c’est un récit très déroutant auquel nous avons à faire. Philippe Claudel construit habilement un patchwork de vie, entre flashbacks et moments présents, passé récent et passé profondément enfoui sous les poussières de l’oubli, ou de la honte… Le suspense est savamment dosé et l’issue, si on la devine au bout d’un moment, est bien amenée. J’ai aimé l’ambiance de ce livre, pesante, voire dérangeante par moments. On est mis face aux catacombes obscures de la pensée humaine, et aux horreurs de « la foule » au sens large. La foule, ce monstre qui existe par lui-même et qui peut annihiler en quelques instants l’individualité et sa conscience pour pousser aux actes les plus atroces. C’est fascinant et effrayant à la fois. J’ajouterai à cela que la position reculée du village, en pleine forêt, donne à voir la nature dans toute sa puissance, puissance de beauté autant que de destruction. On sent le vent dans les arbres, l’odeur de l’humus, le glacé de la rivière. Finalement, nature et esprit humain sont ici semblables, balancés entre capacité de résilience, fabuleuse résistance, et pulsions destructrices. On sort de ce livre mal à l’aise autant qu’emprunt d’air pur…une belle expérience.